Le FOX 22
Un petit habitable hollandais
pour des sorties en solitaire ou en famille
Une longue histoire de voile : premiers stages de voile à dix ans et coup de foudre : passage de tous les brevets officiels, voile et planche, monitorat au plus haut niveau, plus de vingt ans d’école de voile, régates, trapèze au sommet des échelles d’un skiff… Un jour, on abandonne la planche Open, par refus du pumping, puis des engins de plage submersibles ; passé la quarantaine, avec la première sciatique, on range le dériveur pour avoir le plaisir de naviguer en famille.
Notre premier voilier, conservé dix ans, était un Etap 23. Un petit yacht en miniature, très marin et avec les soucis classiques des propriétaires d’Etap : mécanisme de quille, eau de pluie dans la double coque, faïençage du gel-coat, pièces introuvables… De beaux souvenirs de navigation, mais à l’étroit.
Le deuxième habitable, acheté en copropriété approchait des 9 m hors-tout. Très bien construit aux États-Unis, avec un plan d’aménagement original et la largeur royale d’un vrai 35 pieds, il était magnifiquement équipé. Mais outre que la copropriété m’était difficile, au grand regret de mes partenaires, j’avais le sentiment de passer plus de temps à bricoler et nettoyer qu’à naviguer. Il est vrai que certains adorent cela : moteur diesel, inverseur, réservoirs d’eau douce et d’eaux noires, chauffage, circuit d’eau chaude, douche, four à cardan, frigo, l’usine à gaz de l’électronique Raymarine… Et comme je suis un brin maniaque… Sans compter l’impression de manœuvrer une savonnette entre les pontons faute de disposer d’un propulseur d’étrave. Bref : rien à voir avec le plaisir de naviguer et une vaccination garantie contre le yachting « à la pépère ».
Les modèles proposés sur le marché du neuf sont désormais des caravanes flottantes surmontées d’un mât. Je caricature à peine. Côté design, on vous réinvente l’étrave inversée des yachts du temps jadis, un peu comme reviennent à la mode les pattes d’éléphant, le marcel ou le boudoir… Et on vous conçoit des « tonneaux à voile » toujours plus grands et plus ventripotents. Pour des raisons financières, et à l’exception de quelques « marchés de niche » – hélas, coûteux pour qui n’a pas hérité –, les salons nautiques vendent surtout du moteur et pour la voile, ne visent plus la petite classe moyenne : les grands chantiers ne gagnent pas leur vie à construire du neuf pour l’instit, le clerc de notaire, le prof de lycée ou l’honnête médecin de campagne… Si vous voulez faire de la voile, comme les richards, on vous conseillera d’acheter une occasion en dessous de 35 pieds ou de réserver, pour une semaine, une couchette de charter sur un cata aux Antilles, avec superstructure HLM, barbecue de cockpit, hôtesse et skipper plus ou moins compétent (j’exagère ?). Heureusement, les vrais voiliers construits il y a 30 ans en polyester, quand l’Irlande et les Sorlingues étaient encore des destinations, demeurent nombreux, marins et bons marcheurs. Les marchés étrangers sont très intéressants pour qui se débrouille en anglais (Allemagne, Pays-Bas) et proposent des bateaux beaucoup mieux entretenus que dans le standard français. Il y aura beaucoup moins de frais de rénovation…
De nombreux voyages sous les tropiques m’ont appris que le vrai bonheur était de vivre en bonne complicité avec les locaux, sans véhicule tout terrain, loin de l’entre-soi des hommes blancs. J’ai compris pourquoi le Grand Jacques avait pris racine à Hiva Oa, mais aussi que je ne partirai jamais aux Marquises à la voile. Je n’aurai donc appris à manier le sextant que pour la beauté du geste. À la vérité, je m’ennuie au large. J’adore le rase-cailloux. Mon terrain de jeu, c’est la Zélande, paradis de la voile, des oiseaux et de la nature protégée. Un petit coin de Bretagne perdu au septentrion et très proche de mon Plat Pays. Serais-je devenu casanier ?
Après une très sérieuse étude du marché et de nos besoins réels, je me suis donc orienté vers un day-boat : la sécurité est mon obsession ; nous ne dormons guère longtemps à bord et je navigue souvent en solo ; par ailleurs, la faible longueur réduit les coûts de ponton et de maintenance ; la zone de navigation est largement abritée. J’ai renoncé à l’idée initiale du transportable, qui aurait supposé l’achat d’une voiture bien plus puissante. Dans les faits, remorquer plus d’une tonne n’est pas une sinécure et on ne déplace guère son « habitable » sur route pour passer des vacances à Paimpol ou à Venise. Surtout, je ne voulais plus de mécanisme de quille à moins de trouver un véritable dériveur. Ravi de l’expérience de l’Etap 23, je souhaitais un moteur hors-bord en puits, pour la simplicité de la manœuvre, comme des entretiens, avec le rêve de le remplacer à terme par un moteur électrique (attendons, toutefois, des progrès en puissance et en autonomie).
Le choix s’est finalement fixé sur un Fox 22, inconnu dans l’Hexagone, mais très apprécié aux Pays-Bas et en Suisse. Véloce et marin, avec un cockpit généreux, il s’agit d’un plan Jacques de Ridder, comme pour l’Etap 23. Malgré sa quille fixe, il n’a qu’un un tirant d’eau de 0,90 m. Cela ne l’empêche pas de serrer très bien le vent. Sans doute sous-toilé avec son petit foc, il étale un bon 6 bft au premier ris. Très stable, il est bas sur l’eau et rappelle les sensations d’un dériveur. On hisse son spi en solo sans inquiétude. On peut se prendre une bonne branlée, remonter un « lourd » au près serré pour lui faire un pied de nez ou simplement promener tranquille en famille.
Notre Fox 22, vieux de 20 ans, a été acheté en occasion garantie chez son constructeur frison, coque repeinte, et nous a été livré en Zélande, prêt à naviguer. En Batavie, il n’y a guère de lézard : la confiance prime, un euro est un euro, « économie » est un maître mot et toute question reçoit sa réponse, même deux ans après l’achat.
Ne voulant plus m’ennuyer avec de l’électricité à poste et désirant revenir aux basiques de la navigation, j’ai privilégié un voilier genre « presque zéro carbone », mais sans tomber dans l’orthodoxie des rabiques de la décroissance : 100 W de panneau solaire et petite batterie nomade, VHF sur accu (avec GPS et ASN !), tablette d’occasion. Les feux réglementaires sont sur piles et ne servent guère que pour terminer une belle navigation (j’aime barrer en fin de journée, quand arrive la brise de mer et que les autres sont au bistrot du port ou au resto). Pas de girouette-anémomètre : une Windex suffit. Pas non plus de trou dans la coque : les toilettes sèches « à la bobo » sont pliables et rangées dans un équipet ; le sondeur est inutile avec 90 cm de tirant d’eau (le plomb de sonde, obligatoire, suffit) ; un magnifique loch Walker – acheté une croûte de pain en Angleterre, of course – enregistre les milles ; la tablette ou la VHF avec GPS indiquent la vitesse. Que le marin mesure très vite à l’oreille et au regard.
À propos, méfiez-vous des tablettes et smartphones : certes utiles en solitaire, ils ne proposent qu’un modeste A-GPS (comme assisted) sympa pour la voiture, le vélo ou la petite promenade, mais absolument incapable de donner une position sans connexion régulière à Internet (« pour vous assurer un point plus fiable », sic). On le découvre au large, le jour où le GPS ne fonctionne plus.
Pourquoi payer un logiciel de navigation et des cartes, alors qu’il y a l’excellent OpenCPN, gratuit et multiplate-forme, et que les cartes des marchands du temple ne sont souvent que des « relookages » de cartes marines téléchargeables gratuitement et parfaitement à jour, sur les sites officiels ? Si l’on veut plus simple, ou une roue de secours, un OsmAnd complet fait l’affaire. Il est gratuit sur F-Droid et exploite OpenSeaMap en version navigation. Compatible GMDSS, la VHF portable embarque un vrai GPS et fournit toujours la position en latitude et longitude. Sinon, pour un usage ponctuel, un vieux Garmin sans cartographie fera l’affaire loin des pylônes et des data.
Les cartes papier, à jour, font foi et demeurent indispensables à bord. Pour qui sait les utiliser et tenir une estime, bien sûr. Il en va de même de l’annuaire des marées, des jumelles marines, du baromètre, des pointes sèches, de la règle de Cras et du compas de relèvement. Notre livre de bord est toujours complété. Nostalgique du Cours des Glénans ou vieux loup de mer ?
Pas d’électronique marine, pas de réseau NMEA, pas de connecteurs à passer au WD-40, pas de fusibles… Bref, tout l’équipement tient dans une sacoche. Pour le pilote automatique, un bon verrou de barre, genre Tiller Lock, contentera celui qui sait équilibrer son voilier et adore barrer. Pour naviguer plus loin, il y a les régulateurs d’allure, pas plus chers qu’un équipement électronique dernier cri.
Un véritable transpondeur AIS serait assurément un plus pour la sécurité. Mais outre le coût, cela supposerait un interfaçage NMEA avec la VHF portable (possible) ou un GPS intégré (cela existe), une antenne en tête de mât, une connexion à la batterie nomade, le wifi vers la tablette. Bref, le début de la galère… De toute façon, dans notre zone de navigation, il y a surtout des yachts, généralement non équipés, et des chalands ou des pêcheurs qui ne regardent pas les AIS de classe B. Bref, on oublie, on veille à 360° et on évite le brouillard.
Pour la popote, un bon double réchaud à alcool Oriondo, avec une excellente chauffe et zéro souci de compatibilité des bouteilles. Surtout pas de vache à eau, régulièrement colonisée par les algues. Des manilles textiles au prix du mètre de Dyneema, très simples à fabriquer même pour qui a réussi son bac. Un taud de cockpit pour vivre confortablement au port (en fait, une bâche achetée en grande surface). Le moteur enfile un sac Ikea pour capote et il adore. Lorsque nécessaire, un vélo pliable électrique, acheté d’occasion, occupe le carré. Il permet de rejoindre la voiture, restée au port précédent. On privilégie les lieux conviviaux, pas les marinas « prisunic ».
Le « budget matos » devant rester raisonnable (environ 2 500 €), beaucoup de choses ont été achetées d’occasion. J’ai pensé tout de même à mon shipchandler et à mon maître-voilier, qui sont des personnes de qualité. Je n’ai pas lésiné sur l’essentiel : outre la VHF, un véritable radeau de survie, une ancre Kobra, une bouée Silzig, des points d’ancrage pour les harnais, histoire de ne pas finir comme le pauvre Tabarly. Bien entendu, de bonnes voiles et une coque carénée chaque année.
Bref, désormais, nous, on navigue.